la guerre de Course à Granville…

relevés de Alfred Mayeux (1912-1996), source Mayeux-Doual…

1740 à 1748, guerre de la succession d'Autriche : 22 navires corsaires, 474 canons, 3400 marins.

1756 à 1763, guerre de Sept Ans : 14 navires corsaires, 280 canons, 1883 marins.

1778 à 1783, guerre de l'Indépendance américaine : 17 navires corsaires, 318 canons, 2200 marins et 53 bâtiments prêtés pour le service du Roi.

Sous Louis XVI, les chefs des « Hauts Corsaires » (30 à 40 canons) eurent le titre de Lieutenant de Frégate et l'uniforme. Il y eut des compagnies de volontaires à caractère militaire. À Granville, il y avait 6 corsaires de première force : l'« Américaine », le « D'Aguessau », le « Monsieur », la « Madame », le « Duc de Coigny », le « Patriote ».


1793 à 1815, guerre contre l'Angleterre : La Course est ralentie pendant la Révolution à la suite du siège de 1793. Elle reprit un peu de vigueur à la 2e guerre de la Révolution, mais avec 15 corsaires au plus de 14 canons. La cause principale en est la décadence de la marine militaire.


1793 à 1813 - 1re coalition contre l'Angleterre (1793 à 1795) - 2e coalition, Bonaparte (1795 à 1802), Empire (1803 à 1813) :


1783 à 1801, 23 navires corsaires, 168 canons, 970 marins,

1803 à 1813, 15 navires corsaires, 72 canons, 490 marins.


En 1819, le quartier maritime de Granville comptait 219 capitaines au long cours et 83 maîtres au cabotage.

- • -

la guerre de Course

source : Mémoires historiques nautiques et statistiques sur la ville, le port et le canton de Granville,
1876 - Mayeux-Doual, L.-J.-B.

Dans toutes les guerres maritimes, Granville, depuis plus de deux siècles, comme un petit État toujours prêt à seconder de tous ses moyens la Haute-Puissance qui le protège, a toujours pris par lui-même une attitude militaire, en faisant pour ainsi dire agir sa marine comme auxiliaire de la marine royale ; et ses propres forces ont souvent fait poids dans la balance des mêmes secours accordés à l’État par les autres ports du commerce. Aussi, est-ce essentiellement de la course que lui est venu le degré de prospérité dont il a joui à diverses époques. Dans la guerre de 1635 contre l’Espagne, guerre qui dura vingt-cinq ans, sa marine obtint des avantages qui apportèrent quelques richesses à la ville et qui lui procurèrent les moyens de faire de sa petite église une espèce de cathédrale. Elle eut les mêmes succès dans celle de 1672 contre la Hollande et l’Angleterre, terminée en 1678 par la paix de Nimègue ; et beaucoup plus encore dans celle de 1688 à 1697 contre les mêmes puissances.

Ce fut dans cette dernière que parut le Jean Bart de la marine granvillaise, l’intrépide et fameux Beaubriand Levêque, capitaine du vaisseau du roi, le « Fortuné », fils de Jean, le bienveillant et généreux fondateur de la chapelle de l’hôpital. Jouissant dans l’esprit du monarque du même degré d’estime que René Du Guay-Trouin de Saint-Malo, avec lequel il était lié d’amitié, Louis XIV leur confiait ses vaisseaux pour agir simultanément contre l’ennemi. C’était dans le quartier de Saint-Malo et plus particulièrement encore dans celui de Granville, comme étant le plus populeux en hommes de mer, qu’ils levaient les marins dont ils avaient besoin pour leurs expéditions. En 1695, après le premier bombardement de la ville, ils attaquèrent de concert et enlevèrent aux Anglais un fort convoi venant de l’Inde. La richesse de cette capture fut estimée beaucoup au-dessus de tous les dommages causés cette année dans nos ports de la Manche par les divers bombardements de la flotte anglaise. Nicolas Dry de La Turbotière, capitaine du St-André, et André La Souctière Levêque, capitaine de frégate, ne se distinguèrent pas moins dans cette guerre. En 1692, le jour de la Saint-Louis, le premier eut la jambe droite emportée par un des boulets de l’ennemi ; et le second fut aussi cruellement mutilé en 1694, blessure qui ne l’empêcha point de fournir une longue carrière, car il mourut à Saint-Malo, en 1772, dans sa cent quatrième année. Une partie des deniers prélevés sur les produits de la course tourna au profit de l’hôpital et l’autre fut employée au rachat des marins du quartier tombés entre les mains des Algériens et réduits depuis plusieurs années au plus dur esclavage.


1701 à 1714 (traité d’Utrecht) : La guerre de la succession d’Espagne procura à la marine granvillaise une nouvelle occasion de se signaler. Un convoi français de quarante-trois voiles marchandes, sous l’escorte du chevalier de Tourouvre, fut, le 2 août 1703 (1), brûlé par les Anglais à la pointe de Caroles.

Quelques navires en échappèrent, protégés par des bâtiments armés du port. Mais ceux des plus maltraités par l’ennemi, qui couvrirent de leurs marchandises et de leurs débris les grèves de Champeaux et de St-Jean-le-Thomas, éprouvèrent un tel pillage la nuit suivante que l’official de Coutances, à la requête du procureur du roi de l’amirauté de Granville, lança un monitoire pour obliger, sous les peines d’excommunication, les auteurs de ce méfait à rendre les objets volés. Les plus forts corsaires dans cette guerre étaient de dix-huit et vingt-quatre canons. Ils firent de telles merveilles que les armateurs, dans l’espoir d’un plus grand succès, sollicitèrent du roi en 1712 la permission de faire la course sous pavillon espagnol contre les Vénitiens, les Génois et les Lucquois, auxquels le Roi d’Espagne venait de déclarer la guerre.

  1. (1) Un jeune marin de Granville, dont (nous) n’avons pu découvrir le nom, reçut, en 1704, une récompense du roi pour avoir refusé d’entrer, en 1703, une escadre anglaise à Plaisance, île de Terre-Neuve qui alors appartenait entièrement à la France (lettre de M. de Pontchartrain, ministre de la marine, du 6 février 1704).


1740 à 1748, guerre de succession d’Autriche : le commerce de la ville, par des corsaires de vingt-quatre, trente-six et quarante canons, déploya plus de forces positives contre l’ennemi. Sa pêche armée des années précédentes lui en avait grandement donné les moyens. À beaucoup d’égards, il se trouvait en mesure et en état d’agir dès l’ouverture des hostilités. Aussi la course fut-elle glorieuse et brillante.

Avril 1748 : le corsaire le « Conquérant », par ses combats opiniâtres et renouvelés, par ses nombreuses et riches captures, justifia dignement sa dénomination. Son premier chef, Thomas Hautmesnil-Hugon, reçut du roi une épée d’honneur.

1747 : Le « Thomas-Kouli-Kan » ne fut pas moins valeureusement commandé par Mathieu de La Rue qui, dans une action des plus sérieuses, eut la figure emportée par un boulet de l’ennemi, On l’appelait Face d’argent, du masque de ce métal qu’il portait habituellement pour cacher son honorable difformité. Son second, Jacques Mullot, eut les deux bras coupés dans la même affaire.

Juillet 1744 : la « Françoise-du-Lac » ayant été attaquée par deux bâtiments de guerre ennemis, le feu de ses flancs sortait avec précipitation pour faire cesser la multitude de coups sous laquelle elle était accablée. Pierre Le Doux eut aussi dans cette action les deux bras coupés, et René Le Pléville Le Pelley qui, en qualité d’officier, ouvrait sur ce corsaire son honorable carrière, fut frappé d’un boulet qui lui emporta une jambe.


1756 à 1763, guerre de Sept Ans : la course pendant la guerre de 1756 fut mêlée de succès et de revers. On fit beaucoup de prises, évaluées près de 3 millions ; mais les Anglais en ressaisirent plus de la moitié avec la plupart des bâtiments de course. Le plus beau corsaire fut le Granville, armé de 40 canons, de 316 hommes d’équipage et commandé par La Hogue-Quinette, fils de l’armateur. Il sauta en l’air par le feu pris à ses poudres dans le combat qu’il soutint contre la frégate anglaise la Britannia le 30 juin 1757 : quatre hommes seulement furent sauvés par l’ennemi. Le brave Crublet, commandant le Grand-Gédéon, laissa dignement la vie sur le champ de bataille ; et Jacques Renaudeau, capitaine d’un petit bâtiment destiné à la protection des côtes, reçut pour son utile croisière une épée d’honneur.


1778 à 1783, guerre de l’indépendance américaine : la guerre de 1778 fut glorieuse à la France. La marine royale, relevée par les soins de Louis XVI, racheta, par d’honorables avantages, ses honteuses défaites dans la guerre précédente. La marine marchande eut pareillement des succès. Celle-ci se produit toujours à l’instar de la première : elle en suit en quelque sorte la marche et les progrès, et ne manque jamais de se montrer entreprenante et audacieuse toutes les fois qu’elle se sent appuyée par la marine de l’État. La course dans cette guerre reçut une distinction qu’elle n’avait pas encore obtenue. Tous les chefs de hauts corsaires, c'est-à-dire de ceux armés de trente à quarante canons, eurent le titre de lieutenant de frégate, avec le droit d’en porter l’uniforme. Des compagnies de volontaires plus ou moins fortes entrèrent dans la composition des équipages. Chacune d’elles avait son ordonnance et ses couleurs ; de manière que la course eut un aspect et un caractère tout à fait militaires. Parmi les bâtiments du commerce de la ville, équipés en guerre et destinés à agir contre l’ennemi, il y en eut six de la première force : tels furent l’« Américaine » et le « Daguesseau », les frégates « Monsieur » et « Madame », les « Duc de Coigny », dont le courageux et vaillant capitaine Denis-François Le Mengnonnet, fut, dans une action, mortellement atteint de la foudre des combats, et le Patriote, commandé par l’infortuné Félix Cocardière, qui, malgré son habileté et ce que son prénom présageait d’heureux, ne put échapper à son fatal destin. Deux cent soixante-treize hommes d’équipage passèrent avec lui au fond de l’abîme le 12 février 1781. L’onde mobile gagnant le cœur de tous ces braves, l’élite de la jeunesse granvillaise, y éteignit pour jamais le feu du courage et celui de la vie.


Deux bâtiments de guerre ennemis, qui se tenaient habituellement à Chausey pour épier les mouvements de la baie, furent, en 1780, attaqués et pris par trois officiers et une partie de l’équipage de la corvette stationnaire du port le Pilote des Indes. Deux de ces officiers, Julien Vallée et Jean de Lalun furent faits lieutenants de frégate pour prix de leur bravoure dans cette affaire, et Ganne Basse-Rue, chef de l’expédition, reçut en outre une épée d’honneur qu’il perdit l’année suivante dans la tentative du baron de Rullecourt-sur-Jersey. mais la rare intrépidité qu’il montra dans cette dernière entreprise lui valut une nouvelle marque de bienveillance du roi, qui lui fit remettre une seconde épée d’honneur.


C’est à la guerre de 1778 que se borne l’éclat de la marine granvillaise sous le rapport de la course. Dans la première des deux guerres de la Révolution, elle fut, pendant quatre ans, dans l’inertie la plus complète. Le siège de la ville en 1793 et l’incendie du faubourg qui en fut la déplorable suite, occasionnèrent de trop grandes pertes pour que le commerce, généralement anéanti, d’ailleurs, eût pu lui fournir les moyens de paraître avec avantage. Pourtant sur la fin de cette guerre, la course reprit un peu de vigueur ; mais elle n’avait plus le nerf nécessaire pour soutenir la portée de ses propres élans. Sur vingt-trois corsaires équipés, quinze tombèrent entre les mains des Anglais. Cinq autres captures parmi les bâtiments du cabotage et deux naufrages entrèrent encore dans la somme des nombreux désavantages essuyés par la ville dans tout cet intervalle.


Dans la seconde guerre de la Révolution, Granville fit fort peu de choses par ses armements en course. Quinze corsaires seulement furent équipés ; et encore quels corsaires ? Les plus forts étaient de quatorze canons avec de biens minces équipages, qui n’agissaient plus qu’avec circonspection et timidité, parce que le zèle et la valeur avaient d’avance la mesure de leur impuissance devant un ennemi devenu trop redoutable. Sans vigueur comme sans force, la course avait entièrement perdu ce caractère décidé qu’elle avait autrefois, moins encore par l’impossibilité directe d’agir et de faire, que parce qu’elle sentait son isolement et le danger des chances trop défavorables qu’elle aurait à courir en se livrant à des entreprises dénuées d’encouragement et de protection ; car elle n’est active et énergique qu’autant que la marine de l’État est toute-puissante. Que peut, en effet, la marine marchande lorsqu’elle n’est ni favorisée ni soutenue par la marine militaire ? C’est sous les ailes protectrices de celle-ci que la première circule et voltige, qu’elle se développe avec avantage. Mais, à l’époque que nous signalons, la marine du commerce, totalement livrée à elle-même, ne pouvait plus rien tenter qui fût digne des nobles efforts à l’aide desquels elle avait, dans les précédentes guerres, si utilement servi la cause de l’État. La marine militaire, négligée et abandonnée, était tombée dans un tel abaissement qu’elle n’avait plus qu’à carguer le reste de ses voiles et à se tenir inactive pour échapper à une ruine totale. Son appauvrissement et sa nullité suggérèrent même l’idée de lui faire éprouver une étrange métamorphose. Les équipages de hauts bords, réduits à ne plus être que d’obscurs gardiens de vaisseaux, furent transformés en bataillons, appelés à se joindre aux troupes de ligne, à grossir leurs colonnes et à marcher dans diverses directions sur les villes et les forteresses mêmes des contrées les plus continentales. L’inscription maritime ne produisait plus ses levées en vue de l’entretien des forces navales, ni de l’activité des chantiers, ni du mouvement des ports. Devenue l’auxiliaire de la conscription, les bâtiments de l’État n’étaient plus en quelque sorte que des ponts de bateaux vers lesquels on dirigeait les marins pour les faire passer du service de mer au service de terre. L’Angleterre ne pouvait que se réjouir d’un plan de militarisation qui transformait nos matelots en soldats et qui destinait la partie la plus active de la population de nos côtes à aller bivouaquer dans les plaines de l’Europe.


Dans les quatre dernières années de cette guerre, Granville eut aussi ses licences. Une chose bien singulière et qui, pourtant, ne doit pas étonner d’après la politique du chef de l’État, c’est qu’à l’égard des Anglais, en 1810 et en 1811, la guerre et la paix semblaient exister en même temps, car, tandis que les corsaires granvillais recherchaient pour les combattre, les navires de notre principal ennemi, d’autres bâtiments du commerce concentraient les produits de nos récoltes et les transportaient librement dans les ports de la Grande-Bretagne. Le genre de spéculation, qui n’avait aucun danger à courir, fut bientôt préféré. La course, déjà affaiblie par la perte de huit corsaires, cessa entièrement, et en 1812 et en 1813, on ne s’occupa plus que d’approvisionner et alimenter une puissance dont on voulait opérer et consommer la ruine. Quelle dérision !



suite : corsaires granvillais